Après la guerre franco-prussienne de 1870-71, de nombreux Alsaciens quittent leurs départements devenus allemands et viennent s’installer en France, entrepreneurs du textile comme ouvriers. La révolution industrielle bat sont plein en Europe et les alsaciens d’Elbeuf importent avec eux les méthodes de la grande industrie allemande voisine. Ces réfugiés vont alors écrire une des plus belles pages de l’industrie elbeuvienne de la laine, en modernisant une production encore très artisanale.
Version remaniée par l’auteur, d’un article publié en juin 2020.
Ainsi, Théodore et Maurice BLIN, les fils d’Aron, modeste colporteur devenu industriel de la laine à Bischwiller dans les années 1820, n’ont pas d’autre choix que de quitter leur région. Ils décident alors de transplanter la production de drap noir haut de gamme, accompagnés par mille ouvriers alsaciens, en Normandie.
Pourquoi ce choix de la France ? Par attachement à la tradition révolutionnaire d’émancipation des juifs de France, promulguée en 1791, qui en fait des citoyens à part entière. De plus, l’économie rentre en jeu car les clauses douanières du traité de Francfort interdisent aux départements annexés par les Allemands de commercer avec la France.
En 1863, Elbeuf, la ville aux cent cheminées produit une bonne partie du drap de laine français. Alors, en 1870, Elbeuf réunit tous les atouts pour pour les ambitions des drapiers alsaciens: un savoir faire ancestral et la proximité du marché parisien.
Malgré le mauvais accueil de certains milieux conservateurs, les Blin s’insèrent facilement dans le tissu local et soutiennent ardemment la IIIe République naissante. En patrons paternalistes, ils sont soucieux du bien être de leur personnel. À la veille de la Première Guerre mondiale, l’usine compte 2 000 ouvriers, contre 406 en 1876. Ils sont accueillis dans des locaux vastes et lumineux. Les affaires sont bonnes, grâce aux commandes de la haute couture puis de l’armée pendant la guerre de 14-18. Mais la production décline après guerre et les difficultés s’aggravent avec la crise de 1929.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la famille, après avoir tenté un arrangement avec l’occupant, par le biais de prête-noms, fuit en 1941 en zone sud. Claude ZIMMERN et Albert BLIN s’engagent dans la résistance. La production continue car l’entreprise est réquisitionnée par l’industrie allemande. Elle évite ainsi les problèmes de trésorerie. À la Libération, les BLIN reprennent les commandes et misent sur la diversification et l’exportation.
Toutefois, après la seconde guerre mondiale, les matières synthétiques concurrencent le drap en laine pure, produit phare de la maison, passé de mode. La chute des ventes semble inexorable dans un contexte de crise du textile. Les difficultés financières s’accumulent.
À cela s’ajoute l’arrivée en 1958 de l’usine Renault à Cléon qui attire les ouvriers qualifiés avec de meilleurs salaires. Les plans de redressement de 1971 et 1974 ne suffisent plus. En 1975, c’est le dépôt de bilan et le licenciement de 660 employés.
Comment valoriser la mémoire et ce patrimoine industriel ? Dès la fin des années 1970, la mairie programme sa réhabilitation : les anciens îlots deviennent des logements HLM. La mairie y implante aussi des commerces, une médiathèque, un foyer pour personnes âgées. L’ancien logement patronal d’André BLIN (1880) a été reconverti en bâtiment administratif du lycée André Maurois. L’énorme sous-sol de la chaufferie est transformé en une sorte de petit théâtre à l’antique, avec gradins et scène.
Depuis, l’îlot Gambetta abrite la Fabrique des savoirs. La réhabilitation a permis d’y installer un pôle culturel, une MJC, un musée, le Centre d’archives patrimoniales et le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine.
Pour y aller :
Pour offrir les meilleures expériences, nous utilisons des technologies telles que les cookies pour stocker et/ou accéder aux informations des appareils. Le fait de consentir à ces technologies nous permettra de traiter des données telles que le comportement de navigation ou les ID uniques sur ce site. Le fait de ne pas consentir ou de retirer son consentement peut avoir un effet négatif sur certaines caractéristiques et fonctions.