Du XVIe au XIXe siècle, nombre de pays européens de la côte atlantique ont participé à la traite négrière. L’abolition de l’esclavage ne s’est pas fait en un jour. Et elle a été l’objet de débats passionnés.
Durant l’année 2023, les musées de Seine-Maritime ont organisé de multiples expositions rappelant cette période sombre de notre histoire, trop longtemps cachée.
Cet article est une version remaniée d’un précédent article de ce site, écrit par Charles Maréchal et publié en avril 2023.
Du XVIe au XIXe siècle, nombre de pays européens de la côte atlantique ont participé à la traite atlantique. Ils ont contribué à développer l’esclavage dans les colonies d’Amérique. D’après le mémorial de Nantes, les pays les plus actifs dans ce commerce triangulaire ont été, dans l’ordre d’importance en nombre d’expéditions : l’Angleterre (41%), le Portugal (39%), la France (13%), les Pays-Bas (5,7%) et le Danemark (1,2%). L’esclavage et la traite contribuèrent à l’enrichissement des ports de l’Atlantique, européens et américains et à l’accumulation du capital qui a permis le décollage industriel. Liverpool a été le plus grand port négrier d’Europe avec 4 894 expéditions. D’autres états (Suisse, Allemagne) ont pris des participations financières avantageuses dans ce trafic.
L’esclavage et la traite contribuèrent à l’enrichissement des ports de l’Atlantique, européens et américains, et à l’accumulation du capital qui a permis le décollage industriel.
Du XVIe au XIXe siècle, plus de 12 millions d’Africains ont été déportés vers le continent américain.
Des révoltes menées par les esclaves sont nombreuses. La plus connue est celle de Toussaint Louverture, qui libéra Saint-Domingue (1792-93). La France révolutionnaire abolit immédiatement de l’esclavage sur le sol de Saint-Domingue (29 août 1793). Puis, par un vote historique du 4 février 1794, la Convention nationale étend l’abolition à toutes les colonies françaises, de manière franche et non graduelle.
Mais en 1802, la France rétablit l’esclavage. Après l’échec de la tentative napoléonienne d’écrasement des révoltés, en 1804, Saint-Domingue deviendra la République indépendante et noire d’Haïti.
Partout, l’esclavage a été progressivement aboli au XIXe siècle. Pour sa part, la France l’a aboli définitivement en 1848, grâce à l’action du député républicain Victor Schœlcher. Le Brésil sera le dernier pays à abolir l’esclavage, le 13 mai 1888.
L’esclavage a profondément marqué les esprits, en développant la ségrégation, les préjugés raciaux et en légitimant la violence. Encore aujourd’hui, le racisme est une des conséquences les plus visibles de l’esclavage, dans les métropoles comme dans les anciennes colonies.
Venant juste après Nantes et Bordeaux, le trio Rouen – Le Havre – Honfleur aura des activités complémentaires et non concurrentes en matière de traite. Rouen finance, Le Havre et Honfleur arment les bateaux nécessaires à ce trafic triangulaire (Europe, Afrique noire, Amérique). Les ports normands commercent principalement avec les « Îles à sucre » des Antilles, au premier rang desquelles Saint-Domingue, la Martinique et la Guadeloupe. Le lien à Saint-Domingue est très fort, de nombreux planteurs y sont d’origine normande.
On dénombre aussi des antillais dans la domesticité de riches familles rouennaises ou havraises.
Ce trafic triangulaire reposait sur la production de toiles et de pacotille en France, embarquées à bord de navires de fort tonnage. Ces marchandises étaient échangées sur les côtes africaines contre des populations amenées de force dans des comptoirs comme celui de l’île de Gorée, au large de Dakar, Sénégal.
La traversée de l’Atlantique de ces malheureux, enchaînés entraînait une forte mortalité (environ 20%). Ils étaient vendus ensuite sur des marchés aux esclaves des Antilles et d’Amérique, pour travailler dans les plantations.
Le fret de retour des navires négriers vers la France est assuré par le coton, le sucre, le tabac, le café, denrées coloniales relativement chères.
Une activité donc hautement lucrative pour les ports de la Basse-Seine !
Retenons cette première contradiction. À Rouen comme ailleurs en Europe : le XVIIIe siècle, celui de Lumières, qui prône l’émancipation des individus, la conquête des libertés démocratiques, est aussi celui de l’apogée de l’esclavage dans les colonies ! Dans un premier temps donc, l’économie contredit la pensée, déjà audacieuse pour l’époque, des abolitionnistes de la première vague.
À la suite de Montesquieu dans de l’Esprit des Lois, publié en 1748 les anti-esclavagistes condamnent le principe de l’esclavage en lui-même, jamais remis en cause depuis l’antiquité, en Europe.
C’est donc l’Europe qui pour la première fois dénonce cette pratique. Montesquieu n’a pas de mots assez durs pour condamner cette pratique dans son texte, « De l’esclavage des nègres », enchâssé dans L’esprit des Lois. Ce premier anti-esclavagisme est représenté à Rouen par quelques beaux esprits, minoritaires, car la bourgeoisie rouennaise est solidaire du Havre et donc forcément esclavagiste, y compris la franc-maçonnerie rouennaise. Jean-Baptiste Milcent, journaliste est un des rares à se prononcer contre la traite et l’esclavage. Il changera d’avis, d’ailleurs, après la révolution.
Les anti-esclavagistes de la première heure n’envisagent pas cependant l’abolition comme un processus immédiat, mais très graduel. En effet, ils craignent de mettre à mal l’économie des colonies d’Amérique, qui repose sur une base servile et sur le commerce exclusif entre la métropole et ses colonies.
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Ceci explique les positions timorées de beaux et libres penseurs rouennais, voire, parfois leurs positions esclavagistes et favorables à la hiérarchie des races.
Un exemple de cette solidarité entre Rouen et Le Havre dans la traite est l’union entre la famille de négociants rouennais Lecoulteux et la famille d’armateurs havrais Foäche. Elle se traduit par un mariage entre Pierre-Barthélémy Lecoulteux et Louise Foäche, au milieu des années 1780. Les armateurs havrais ont notamment créé une Maison de Saint-Domingue (dans laquelle investit la famille Helot, par exemple) …
À partir de 1750/60, des physiocrates français (« Le tableau économique » de François Quesnay est publié en 1758) et des libéraux anglais porte un nouveau regard sur l’esclavage. Celui-ci est dénoncé comme une forme archaïque de travail humain, peu productive. Les physiocrates critiquent le commerce exclusif, les droits de douane excessifs et veulent libéraliser le commerce et l’industrie. Les libéraux anglais, selon la formule célèbre d’Adam Smith, proposent que « la main libre féconde mieux que la main esclave ».
Ce courant libéral reste très minoritaire à Rouen pour les mêmes raisons évoquées plus haut. Mais il gagne du terrain. Et l’idéologie dominante est basée sur l’équation suivante : critiquer l’esclavage, c’est faire le jeu des anglais et menacer nos colonies. Cet état d’esprit reste majoritaire, surtout chez les entrepreneurs du textile rouennais, qui se sentent menacés par la concurrence anglaise.
Rouen et le Havre communient donc dans la défense de la traite et de l’esclavage, au début de la Révolution Française, luttant contre les partisans assez nombreux de la fin de l’esclavage réunis dans la Société des amis des Noirs (Brissot, l’abbé Grégoire) à la Constituante. Jean-Baptiste Milcent retourne à cette occasion, sa veste. De toute façon, la Constituante ne vote pas l’extension des droits de l’homme et des citoyens aux esclaves noirs.
La révolte des esclaves de Saint-Domingue entraîne le ralliement de Rouen, assez modéré au demeurant, à la fin de la traite et à la dissociation entre les intérêts havrais et rouennais. Rouen, moins liée au commerce avec Saint-Domingue, et réinvestissant dans l’industrie cotonnière durant tout le XIXe siècle, se désolidarise du Havre. Place à la modernisation de l’activité textile: la vallée du Cailly devient le petit Manchester rouennais …
Derrière ses armateurs, Le Havre continuera à défendre l’esclavage et la traite longtemps encore (la reprise de la traite au Havre date de 1822).
La Restauration (1815-1848) maintient l’esclavage mais déclare l’illégalité de la traite, suivant en cela les anglais. Il faudra attendre 1848 pour que la seconde République décrète l’abolition définitive de l’esclavage, tout en indemnisant fortement les propriétaires des plantations. À Rouen, le député conservateur bonapartiste et industriel Levavasseur, propriétaire de filature, reste anti- abolitionniste, soucieux d’importer son coton américain au moindre prix …
La page du premier empire colonial français se ferme. Et une autre page, celle du second empire colonial, s’ouvre en 1830 avec la conquête de l’Algérie. Mais ceci est une autre histoire …
En France, la reconnaissance officielle de la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité ne date que de 2001 (loi Taubira). En 2006, une « Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions » est instaurée chaque année le 10 mai.
De nombreuses villes de l’Europe atlantique ont fondé des mémoriaux de l’esclavage (stèles, musées). Liverpool, Capitale européenne de la culture en 2008 a un musée de l’esclavage. Elle a banni de ses rues les noms des marchands d’esclaves. Nantes et Bordeaux ont largement développé des actions mémorielles.
La Basse-Seine le fait mais plus tardivement. Toutefois, les actions mémorielles se sont multipliées ces derniers temps. Des stèles ont été inaugurées à Rouen et au Havre.
Durant l’été et l’automne 2023, plusieurs expositions régionales sur la traite négrière eurent lieu à Rouen, Le Havre et Honfleur
Pour y aller :
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