Le chai à vin de Rouen fut le premier d’Europe dans les années 50. Le contexte économique changeant, son activité décline puis cesse.
Aujourd’hui, on est à la recherche d’une utilisation qui permettrait de sauver ce bâtiment à l’architecture innovante et témoin d’une époque révolue.
Cet article est une version remaniée d’un précédent article de ce site, écrit par Charles Maréchal et publié en avril 2021.
Dès l’époque romaine, Rouen fut un port exportateur de vins vers l’Angleterre et la Hollande. Les vins de Bourgogne y arrivaient par voies fluviales.
La maison située au 59 de la rue Saint-Vivien fut le siège de confrérie des armateurs et marchands de vins de Rouen. Un bas-relief de sa façade représente 2 hommes chargeant un tonneau de vin sur une charrette.
Cet entrepôt, inauguré en décembre 1950 par la Chambre de Commerce et d’Industrie de Rouen, est à l’époque le 1er chai d’Europe. Il sert à l’importation de vins algériens. Ces derniers de fort degré d’alcool sont coupés avec des vins du Languedoc qui, eux, sont peu alcoolisés.
Depuis le Moyen-Âge, les commerces du vin et des céréales ont toujours été une activité au cœur des ports européens. Ils ont été pendant longtemps des éléments incontournables du paysage portuaire européen, de Bordeaux à Londres, de Porto à Lübeck, de Venise à la vallée rhénane … Ainsi, le champ de foire aux boissons, à Rouen, à la hauteur de l’avenue Pasteur, alignait les tonneaux débarqués (années 1920-30).
La chai à vin est situé sur la presqu’île Waddington, entre la Seine et le bassin Saint-Gervais. Son emplacement est idéal pour organiser un transbordement du vin des navires de mer aux péniches remontant la Seine, ou aux camions.
Ce bâtiment, en briques et béton, est l’œuvre de l’architecte rouennais Pierre-Maurice Lefebvre. La façade est sobre, en briques de teinte orange, avec des ornementations en chaînes de briques. Les principales ouvertures sont au rez-de-chaussée et au-dessus du bâtiment. Cette conception réduit les écarts de température qui pourraient endommager le vin. Le jour pénètre seulement par le rez-de-chaussée. Le shed diffuse avec modération la lumière zénithale. De plus, la brique rappelle les entrepôts voisins sur les quais.
Le chai à vin conserve sa fonction jusqu’en 1968. Mais le contexte économique change. L’indépendance de l’Algérie en 1962 et la réduction de l’activité viticole de la plaine de la Mitidja obligent la Chambre de Commerce et d’Industrie de Rouen à réduire. L’amélioration de la qualité des vins du Languedoc condamne à terme ce trafic. L’importation massive de vins algériens cesse.
Alors, le Port autonome de Rouen en devient propriétaire. Il l’utilise jusqu’en 1993 comme bureau des Douanes.
Depuis cette date sans affectation, il a été vandalisé, sa tuyauterie en cuivre suscitant des convoitises. Aussi, le rez-de-chaussée est finalement muré fin d’éviter des dégradations supplémentaires …
En 2017, naît un premier projet : transformer le chai à vin en casino. Mais cela est finalement abandonné, abandon controversé.
De nouveau, on s’interroge sur la destination de ce bel édifice de la période dite de « reconstruction », actuellement à l’état de friche portuaire.
Ce bâtiment à l’aspect assez massif cache bien son jeu ! En effet, l’architecte réussit en effet la prouesse que seul autorise le béton. Un entrecroisement de piliers et une savante disposition des cuves et portiques permettent de dégager des espaces intérieurs clairs et aérés, un peu dans la lignée d’Auguste Perret (qui a reconstruit Le Havre).
Serait-ce le bâtiment le plus havrais de Rouen ? Un beau trait d’architecte en tout cas et un trait d’union entre les deux cités ?
À l’intérieur, il se compose de trois étages de cuves pouvant recevoir 100 000 hectolitres. Des passerelles desservent les étages disposés en croix grecque.
La « nef centrale » est octogonale. D’ailleurs, elle rappelle l’intérieur de l’église Saint-Joseph du Havre, construite par Auguste Perret, suivant une technique un peu similaire. Malgré les dégradations, les tags, on se prend à rêver d’un espace dédié à la création contemporaine …
La vue d’artiste ci-contre permet de se rendre compte de l’ampleur des volumes disponibles. Cet édifice offre 4 plateaux « à la Guggenheim », utilisables pour des expositions, voire des spectacles … Et le toit permettrait d’accueillir un restaurant avec une vue imprenable sur le port de Rouen.
Le chai pourrait devenir un centre d’art contemporain, qui manque à Rouen, un lieu central pour les arts innovants (CHAI, comme Centre d’Histoire des Arts Innovants). En alliant Art et Industrie, il serait dans la continuité d’une tradition rouennaise et européenne d’innovation, illustrée en son temps par les Impressionnistes.
Que l’on songe, par exemple, à Claude Monet et sa Gare Saint-Lazare (1877).
Pour y aller :
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Une réponse
Superbe exposé.
Il faut réfléchir pour trouver les moyens de faire de ce bâtiment et de toute la zone située aux alentours un lieu d’attraction et de promenade, tout en préservant les possibilités de la foire annuelle.