L’abbaye de Jumièges est un un centre important du réseau européen des abbayes bénédictines. Ce réseau contribue contribue à donner à L’Europe médiévale une part de son son identité culturelle commune, que nous avons en héritage. Ne dit-on pas encore aujourd’hui un travail de bénédictin? C’est aussi à une échelle plus régionale, un élément clé du réseau anglo-normand des abbayes, qui assure des échanges fructueux entre la France et l’Angleterre.
Cet article est une version remaniée par l’auteur d’un article publié le 17/12/2020
A l'origine, il y a une abbaye préromane fondée par saint Philibert en 654, dont il ne subsiste presque rien si ce n'est les vestiges plus tardifs de l'église Saint-Pierre , dont la façade occidentale et les deux travées de la nef datent de l'époque carolingienne. Saint Philibert fonde alors une communauté monastique, concédée par Clovis II, roi des Francs, dans une des boucles de la Seine. La règle de vie est largement inspirée, au départ, de saint Colomban, moine irlandais. L'Irlande, coupée de l'Europe continentale, a conservé son Église chrétienne et est devenue le conservatoire des traditions chrétiennes, loin des troubles de l'Europe. Elle envoie donc ses moines rechristianiser le continent. C'est ainsi que saint Colomban évangélise au VIe siècle l'Europe du nord en édictant une règle austère à base de mortifications et d'ascèse. Saint Philibert l'adoucit en adoptant la règle bénédictine créée par saint Benoît de Nursie, né en Italie du Nord. Par la suite, cette règle inspirera largement l'Europe chrétienne occidentale. Elle partage la vie des moines entre travail manuel et intellectuel, prières et accueil, offrant un bon équilibre. Dès lors, la communauté prospère et vers 750 abrite de très nombreux moines qui cultivent la terre, écrivent, et hébergent, grâce à une hôtellerie importante, des voyageurs venus de toute l'Europe. L'abbaye bénédictine de Jumièges est donc un des lieux les plus importants du réseau des abbayes carolingiennes, élément central de la renaissance carolingienne, axée sur l'écrit. Mais dès 841, les invasions normandes entraînent le pillage et la destruction de l'abbaye.
L’abbaye ne retrouve son faste qu’à partir du XIe siècle. L’église abbatiale Notre-Dame [02] est construite entre 1040 et 1066 et inaugurée par Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre, en 1067. Les moines de Jumièges profitent donc de la mainmise des Normands sur l’Église d’Angleterre. Entre 1071 et 1130, l’important monastère d’Abingdon (Berkshire) est dirigé par des abbés venus de Jumièges. Des moines de Jumièges deviennent aussi abbés d’autres monastères anglais.
Très haute, la façade, dominée par deux tours s’élevant à 46 mètres, est caractéristique du style roman-normand, de même la tour-lanterne à la croisée du transept. La nef qui culmine à 25 mètres est la plus haute nef romane de Normandie. Elle présente trois niveaux d’élévation. Elle a conservé durant tout le Moyen Âge un plafond de charpente. Des améliorations architecturales audacieuses, comme le chœur gothique dont il ne reste qu’un arc, se succèdent grâce à la richesse de cette abbaye. Parmi les bâtiments conventuels , il y a un scriptorium et un cloître. La bibliothèque contient plus de 400 volumes. On construit en outre une hôtellerie de 35 mètres de long au 12e siècle. Jumièges devient un chantier permanent, ce qui prouve sa prospérité et son dynamisme. Elle rayonne alors jusqu’en Angleterre.
Toutefois, la guerre de Cent Ans (1337-1453) met fin à cette période faste. L’occupation de la Normandie par les anglais à partir de 1415 désorganise l’abbaye, dont une partie des moines se réfugie à Rouen. L’un d’eux, Nicolas Le Roux (1418-1431), joue un grand rôle dans le procès de Jeanne d’Arc.
L’abbaye se remet à peine des plaies de la guerre qu’elle doit subir au XVIe siècle les dégâts des guerres de religion entre protestants et catholiques qui ensanglantent toute l’Europe du Nord et tout particulièrement la France. Des huguenots partis de Caudebec-en-Caux mettent l’abbaye à sac en 1562 … La règle de vie des moines, de moins en moins nombreux, s’est bien relâchée, en partie à cause du système des abbés commendataires. Les rois de France allouent en effet les abbayes à des clercs ou à des laïcs qui en touchent les revenus sans obligation de résidence et ne s’intéressent qu’aux profits …
Cependant, la Congrégation bénédictine de Saint-Maur, créée dans le cadre de la Contre-Réforme catholique en 1521, remet de l’ordre, de l’érudition et du travail dans cette abbaye. Les Mauristes sont réputés pour leur haut niveau de compétence scientifique. Une grande bibliothèque est reconstituée au-dessus des celliers de l’hôtellerie, elle contiendra jusqu’à 10 000 volumes et 300 manuscrits, transférés à Rouen sous la Révolution et maintenant conservés à la bibliothèque patrimoniale de Rouen (Villon).
Au 17e siècle, un logis abbatial [04] de style classique est construit, avec un fronton triangulaire et un toit à la Mansart. C’est aujourd’hui un musée lapidaire, en même temps qu’un lieu d’expositions temporaires de photographies. Il se situe sur la terrasse qui surplombe l’abbatiale, et qui était autrefois entourée de jardins potagers. Aujourd’hui, l’ensemble des constructions est niché dans un parc à l’anglaise de 14 ha, planté de très beaux arbres.
À la Révolution, il ne reste plus que 16 moines ! L’abbaye est alors vendue comme bien national et devient une carrière de pierres, dès 1791. De surcroît, comme si tout cela ne suffisait pas, en 1812, un marchand de bois de Canteleu descend même à coups d’explosifs les pierres du chœur.
Heureusement les romantiques, dans toute l’Europe, dont Victor Hugo, remettent au goût du jour le Moyen-Âge et ses monuments. Par exemple, l’architecte Viollet le Duc réhabilite Notre-Dame de Paris. Louis-Philippe, roi des français, nomme l’écrivain Prosper Mérimée Inspecteur des Monuments Historiques. De fait, la notion de patrimoine culturel national se développe, en même temps que se forgent dans tous les états européens des récits patriotiques. Ces derniers s’appuient sur la réhabilitation d’un passé qu’on choisit de présenter sous son meilleur jour.
Dans ce contexte plus favorable, l’ Etat revend l’abbaye en 1824 à des propriétaires qui en prennent soin. Elle acquiert ensuite le statut de Monument historique. L’Etat rachète l’abbaye en 1946 et le département en fait l’acquisition en 2007. Ruine émouvante [05] dans un cadre romantique, l’abbaye devient alors un des lieux les plus visités de la vallée de la Seine.
Pour y aller :
Le guide de visite de l’abbaye (papier) édité par le Département 76; un 8 pages (plan, glossaire, photos et textes).
Le Maho Jacques, l’abbaye de Jumièges, Éditions du patrimoine, 2001.
Musset Lucien, Normandie romane2, Zodiaque, 1974, pp 61-126.
L’encyclopédie Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_de_Jumièges
Le site départemental de l’abbaye de Jumièges, avec des informations pratiques et 2 visites 3D: https://www.abbayedejumieges.fr/
https://www.laseineavelo.fr/itineraire/la-bouille-jumieges
Pour offrir les meilleures expériences, nous utilisons des technologies telles que les cookies pour stocker et/ou accéder aux informations des appareils. Le fait de consentir à ces technologies nous permettra de traiter des données telles que le comportement de navigation ou les ID uniques sur ce site. Le fait de ne pas consentir ou de retirer son consentement peut avoir un effet négatif sur certaines caractéristiques et fonctions.