Ancien résistant, Jean Lecanuet, longtemps maire centriste de Rouen, eut un engagement européen obstiné. Il fut en effet député au Parlement Européen pendant deux mandats. Il est inhumé à l’abbaye de Saint Georges de Boscherville, de style roman-normand, un des lieux importants du réseau des abbayes bénédictines. Ce réseau est de plus présent sur tout le continent européen.
Version remaniée par l’auteur d’un article publié le 23/04/2020
Né à Rouen en 1920 dans un milieu modeste, Jean Lecanuet fait des études brillantes et il est reçu à l’agrégation de philosophie en 1942. Ensuite, nommé professeur à Lille, il s’engage dans la résistance à partir de 1943, dans un réseau proche des britanniques. Après-guerre, de 1946 à 1958, il délaisse progressivement l’enseignement pour une carrière de haut fonctionnaire et d’homme politique. Et, fin 1955, il devient secrétaire d’ Etat pour quelques mois. Il milite aussi dans les rangs démocrates-chrétiens du Mouvement Républicain Populaire, très pro-européen. En effet, ce parti du centre participe à de nombreux gouvernements de la IVe République. Le MRP favorise notamment la création de la CECA en 1951 et de la CEE en 1957. Moins âgé que Monnet ou Schuman, les pères de l’Europe, c’est aussi un pro-européen convaincu.
Il est élu député de Seine-Inférieure en 1951 à 31 ans. Candidat à l‘élection présidentielle en 1965, il met en ballotage de Gaulle, en faisant une campagne axée sur son engagement pro-européen, fédéraliste et atlantiste. De 1968 à 1993, il devient maire de Rouen. Le cumul des mandats ne l’effraie pas. En effet, il devient Président du Conseil Général de Seine-Maritime, sénateur, député européen (1979 à 1989), ministre. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, il est d‘abord Garde des Sceaux puis Ministre de l’Aménagement du territoire.
Il a marqué Rouen de son empreinte, désireux d’en faire « la capitale du Nord-Ouest de la France ». On lui doit la transformation de la rue du Gros Horloge en rue piétonne, première de ce type en France en 1971. Un succès qui explique ensuite la généralisation des rues piétonnes en France et en Europe. Il crée aussi un secteur sauvegardé, en vertu de la loi Malraux (1962) autour de la Cathédrale et de l’Église Saint-Maclou. La reconstruction du quartier Martainville insalubre, à l’Est de Rouen, s’achève sous ses mandats.
Pour résoudre les problèmes de circulation d’une grande agglomération, il crée donc des infrastructures spectaculaires. On compte à son actif la percée du tunnel de la Grand-Mare, la construction du pont Mathilde et celle d’un tunnel de métro sous la rue Jeanne d’Arc. Il se soucie également du rééquilibrage entre les deux rives. Sous son mandat, le centre commercial Saint-Sever sort donc de terre, ainsi que le centre d’activités tertiaires qui l’entoure. Enfin il pousse à la réhabilitation du patrimoine de « la ville aux cent clochers » notamment la Cathédrale, au lancement de la première Armada, les voiles de la Liberté, en 1989, un événement qui fera date.
Très engagé pour la communauté européenne, influencé comme beaucoup de démocrates chrétiens par Jean Monnet et Robert Schumann, les pères de la CEE , il a siégé au parlement européen pendant deux mandats, de 1979 à 1988, dans les rangs du PPE (Parti Populaire Européen, conservateur). Jacques Delors, socialiste, occupait alors le poste de président de la Commission européenne (1985/1994) et a donné une forte impulsion à l’Union Européenne. En effet, le premier parlement européen élu au suffrage universel est créé en 1979, le marché unique réalisé à partir de 1985. De plus, les accords de Maastricht (1992) préparés par Delors donnent le coup d’envoi de l’Union économique et monétaire en 1992, donc à terme à la création de l’Euro en 2001.
Militant démocrate-chrétien, sensible aux questions sociales et pas sectaire, il entretient de bonnes relations avec ses adversaires politiques, y compris de gauche. Ces derniers sont en effet bien représentés dans l’agglomération de Rouen et dans le département. Il partageait avec Roland Leroy (dirigeant du Parti Communiste Français, rédacteur de l’Humanité et député ) des origines modestes. De fait leurs relations, divergentes au plan politique, n’empêchaient pas un grand respect mutuel.
Il meurt en 1993, d’un cancer et inhumé dans la salle capitulaire jouxtant l’église abbatiale. Tout un symbole pour ce constructeur, de sensibilité chrétienne-démocrate, européen convaincu. Cet édifice est une des plus belles abbayes romanes et bénédictines de France et d’Europe. Un lieu paisible, dans la vallée de la Seine, pour son dernier repos et celui de son épouse. Cependant, cette décision a fait polémique, mais il faut se souvenir qu’il aimait ce lieu. De plus, il a contribué à sa restauration en tant que Président du Conseil Général de Seine-Maritime.
La boucle est bouclée : Jean Lecanuet a débuté sa vie en s’engageant dans un réseau de résistants anglais. Il la termine, tourné dans sa tombe vers le territoire normand, au passé très proche des îles britanniques; à côté de l’église, s’étend le domaine de l’abbaye, dont il reste l’ancien logis mauriste et la salle capitulaire du XIIe siècle, remarquable par son décor mêlant les styles roman et gothique. C’est dans ce lieu que sont inhumés Jean Lecanuet et son épouse.
Elle se situe aux pieds de la forêt de Roumare, sur les coteaux de la vallée de Seine, en aval de Rouen. En outre, cette grande église abbatiale, très élancée, et lumineuse, aux volumes équilibrés, offre toutes les caractéristiques de l’art roman. Or, dans le cas de Saint Georges, c’est un art anglo-normand, donc européen présent des deux côtés de la Manche. En témoigne la tour lanterne, signature architecturale anglo-normande. Sa façade, ornée d’un beau tympan et encadrée de deux petites tours de style gothique, est remarquable.
Comme beaucoup d’autres établissements bénédictins de France, l’abbaye Saint-Georges a fait l’objet, au XVIIe siècle, de grands aménagements dans le cadre de la réforme mauriste. Car, cette réforme, lancée par la congrégation de Saint-Maur avait pour but de réformer l’ordre bénédictin. Cet ordre avait en effet une règle qui s’était, avec le temps, bien relâchée. Il avait alors fallu la réorienter de nouveau vers le travail et l’étude. Elle était aussi respectueuse du gallicanisme, c’est-à-dire de l’allégeance de l’Église catholique de France au pouvoir politique français. Du moins jusqu’à la séparation des Églises et de l’État français en 1905.
Surtout, les jardins ont été fidèlement reconstitués il y a quelques années d’après un plan du XVIIe siècle. De composition classique, ils offrent toute l’année les couleurs variées et l’ordre caractéristique des jardins à la française. Par un escalier monumental, on accède au pavillon des vents, en haut du coteau. De là, on jouit d’une vue splendide sur les jardins, le chevet de l’abbatiale et sur la vallée de la Seine. Une visite à faire, absolument, sur la route des abbayes normandes, à 15 minutes de Rouen.
Pour y aller :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Lecanuet
Philippe Priol, le Vol de l’albatros, 2001.
Nadine-Josette CHALINE: Jean LECANUET, aux éditions Beauchesne, collection Politiques et Chrétiens, 01/01/2000.
https://shop.vivlio.com:443/product/9782402136754_9782402136754_1/jean-lecanuet.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_Saint-Georges_de_Boscherville
https://www.abbayes-normandie.com/abbaye/abbaye-saint-georges-de-boscherville/
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Une réponse
J’ignore qui a décidé du lieu d’inhumation de Jean Lecanuet et de sa seconde épouse. Il m’a été dit que c’était sa volonté … Peut-être, mais ce n’est pas lui qui en a décidé, J’admets que sans lui, l’abbaye n’aurait jamais retrouvé le rang qui lui était dû … Cependant, la salle capitulaire de l’Abbaye n’est pas un symbole, mais une erreur qui porte atteinte à la mémoire de Jean Lecanuet. Une salle capitulaire est le lieu de réunion quotidienne des seuls moines ayant fait leurs vœux. Ceux qui ne les ont pas faits restent dehors et n’ont pas voix au chapitre ! Quant aux hommes divorcés et aux femmes, ils et elles n’avaient aucun accès à l’intérieur de la clôture. Il y a sur le site de l’abbaye plusieurs lieux qui auraient fait honneur à la personnalité de Jean Lecanuet : le plus prestigieux selon moi aurait été la chapelle des Chambellans, fondateurs de l’abbaye ; le plus beau, le jardin des senteurs dont on connaît mal l’origine, mais qui semblait réservé à l’abbé ; le plus neutre, en haut du jardin à l’opposé du labyrinthe dans la zone qui fut sans doute le cimetière des moines à partir du 17e ou du 18e siècle …
Bien qu’élevée dans la religion catholique, j’ai toujours été très gênée en tant que guide bénévole (fonction que j’ai abandonnée en 2018, pour ne pas faire concurrence au domaine marchand) d’expliquer aux uns que cet emplacement est contraire à la tradition bénédictine, aux autres que Jean Lecanuet, quel qu’est été son souhait, n’en est pas responsable …
Ma remarque ne vaut pas pour la sépulture de l’abbé Victor, située à l’origine dans le chœur de la Collégiale, c’est-à-dire à peu près à l’endroit où se trouve sa pierre tombale actuelle.
Si un jour on rend à Jean Lecanuet, la place qui lui est due, j’assisterai avec bonheur et reconnaissance envers Jean Lecanuet au transfert de ses cendres et de celles de son épouse …
Hélène DELBOR